Année 2019 – 2020
Bonjour à tous ! En ces temps de « finement », je vagabonde dans ma bibliothèque, histoire de partager certaines lectures qui m’ont marqué… Je tiens une petite chronique « Au fil des Incipit » sur la page Facebook de L’instant avant l’aube. Aujourd’hui, mercredi 25 mars, je devais retrouver certains d’entre vous pour notre travail ! SARS COV’ ! (comme on dirait… tiens… ZUT ! par exemple). Alors, quelques unes de mes pensées s’envolent vers vous… Et l’envie de partager quelques considérations artistiques. Comme ces Témoignages sur le théâtre de Louis Jouvet, le même dont je parle dans mon « seul en scène », qui bizarrement était notre dernière rencontre ! Je vous souhaite une bonne lecture de l’extrait qui suit et vous assure d’une certaine continuité pédagogique (soignez vos calcanéum, vos creux poplités et vos sinciputs !).Le théâtre rend aux hommes la tendresse
Entre tous les arts, le théâtre tient une place insigne et méritée. Cette place il la doit à l’importance d’une communauté, d’une communion dont il vit, qu’il entretient et qu’il propage.
Parmi les activités humaines, le théâtre est une des premières, une des plus persistantes et peut-être la plus souveraine. C’est par lui que s’exerce avec le plus de vérité et d’efficacité le pouvoir créateur des hommes.
Le théâtre n’est pas seulement l’expression d’un peuple, d’une nation mais l’attestation la plus vraie et la plus vivante d’une civilisation. C’est dans l’univers le seul libre échange, celui des sentiments, des idées. Par sa vertu, son excellence, le théâtre s’est révélé et s’affirme un lien spirituel incomparable. La vie et l’art du théâtre utilisent et créent des réactions de sensibilité, des rapports d’affection et d’amitié : ce sont des actes essentiels. Transmis d’une époque à une autre, transférés d’une région ou d’une nation à une autre, ces actes créent à leur tour une communauté, une identité spirituelles.
Ce n’est pas ce point de vue que propose d’ordinaire la critique dramatique. Cet art ne va pas pour elle aussi loin, mais il faut le dire et le répéter, le théâtre n’est pas seulement un moyen d’écouter ou de passer le temps, c’est une occasion recherchée de préparer et de vivre sa vie avec plénitude.
Le théâtre n’est pas seulement industrie ou gesticulation, il est imagination, délivrance et amour.
Dans l’époque décevante où nous vivons, les plus purs témoignages de sa réalité nous ont été donnés par les prisonniers des camps. Au milieu d’une foule immense et dénuée, au milieu d’hommes désespérés et désemparés, au sein de leur solitude, de leur souffrance, le théâtre s’est manifesté comme aux premières époques où les hommes, épars, errants, désolés, incertains ont inventé la représentation dramatique.
Dans les camps, le théâtre est né ; il a pris naissance des mêmes besoins, des mêmes détresses, des mêmes bonnes volontés.
Il a restitué des hommes à eux-mêmes. Il a libéré, il a fait revivre en eux tout ce que leur condition nouvelle avait détruit ou amorti ; il leur a affirmé la permanence de la vie, sa continuité.
Ainsi le théâtre éveille les espoirs et les souvenirs. Il fait revivre une sensibilité qui peut s’étioler ou sombrer.
Le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine, cette tendresse humaine qui relie comme une immense famille, à travers les générations, le public d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide à celui de Lope de Vega, de Calderon, à celui de Shakespeare, à nos classiques français et à nos auteurs contemporains.
Par une œuvre représentée, par une pièce, par des tréteaux, une libération se fait, une élévation survient, une connaissance intérieure se pratique, une vie profonde se déclare entre les hommes.
Louis Jouvet
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