C'est ainsi qu'ils s'entretenaient le jour; et quand la nuit ramenait les ombres, ils se disaient adieu, et s'envoyaient des baisers que retenait le mur envieux. Le lendemain, à peine les premiers feux du jour avaient fait pâlir les astres de la nuit; à peine les premiers rayons du soleil avaient séché sur les fleurs les larmes de l'Aurore, ils se rejoignaient au même rendez-vous.
[83] Un jour, après s'être plaints longtemps et sans bruit de leur destinée, ils projettent de tromper leurs gardiens, d'ouvrir les portes dans le silence de la nuit, de sortir de leurs maisons et de la ville; et, pour ne pas s'égarer dans les vastes campagnes, ils conviennent de se trouver au tombeau de Ninus; c'est là que doit leur prêter l'abri de son feuillage un mûrier portant des fruits blancs, et placé près d'une source pure.
Ce projet les satisfait l'un et l'autre. Déjà le soleil, qui dans son cours leur avait paru plus lent qu'à l'ordinaire, venait de descendre dans les mers, et la nuit en sortait à son tour; Thisbé, tendrement émue, favorisée par les ténèbres, couverte de son voile, fait tourner sans bruit la porte sur ses gonds; elle sort, elle échappe à la vigilance de ses parents; elle arrive au tombeau de Ninus, et s'assied sous l'arbre convenu. L'amour inspirait, l'amour soutenait son courage. Soudain s'avance une lionne qui, rassasiée du carnage des bœufs déchirés par ses dents, vient, la gueule sanglante, étancher sa soif dans la source voisine. Thisbé l'aperçoit aux rayons de la lune; elle fuit d'un pied timide, et cherche un asile dans un antre voisin. Mais tandis qu'elle s'éloigne, son voile est tombé sur ses pas. La lionne, après s'être désaltérée, regagnait la forêt. Elle rencontre par hasard ce voile abandonné, le mord, le déchire, et le rejette teint du sang dont elle est encore souillée.
Commentaires