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Interview choc en exclusivité mondiale

Voici, en exclusivité mondiale, l'interview d’Éric Duranteau, l'un des partenaires professionnels de l'option théâtre, scénographe. Elle a été réalisée par Adrien, comédien de l'option et élève de terminale. Le sujet : la mise en abîme, ou en abyme.
1.    A quoi sert la mise en abîme dans le théâtre en général, en quoi c’est un plus ?
Je ne pense pas qu’on puisse généraliser, elle peut avoir de multiples formes et emplois, mais c’est un vertige, une remise en jeu, une réflexion: C’est à la fois une plongée dans le cœur de la représentation, sa magie, son pouvoir spécifique, et une prise de recul puisqu’en mettant en évidence la magie on la neutralise. Mise en scène de la mise en scène, elle entraine dans la folie du spectacle en même temps qu’elle tient à distance. Elle tient en éveil donc nos sens de spectateur : Suiveur ou  interprète ?

2.    Particulièrement dans notre projet à quoi sert-elle ?
Suiveur ou  interprète ? « Sois toi-même l’interprète de ta propre entreprise ». C’est le message de Rabelais qui termine notre spectacle.
Le spectateur n’est pas que télé-spectateur, il est directement sollicité, inclus, attiré, repoussé, mis en danger : Où est-il ? Où se place-t-il ? Qu’en fait-il ? C’est à lui, c’est à chacun, de transformer l’expérience du spectacle.
La mise en abîme permet aussi de créer des liens entre des mondes, des temps, des situations différentes. Elle donne la sensation de superposer, de doubler,  de mettre en parallèle plusieurs choses en un même temps. Elle semblait donc intéressante pour parler de Rabelais qui croise sans cesse les registres (les langues, le vocabulaire scientifique, législatif, religieux, guerrier, littéraire, populaire …) , les situations, les références, les époques, les milieux, les savoirs, les échelles…
On revient à cette idée de vertige. Étourdis par leur propre accumulation, leur propre mise en scène,  la raison et le savoir d’une époque sont tenus à distance, pour permettre à l’homme d’exister un peu plus.

3.    Pour toi, comment est-elle mise en valeur par le texte ?
Les références à Homère en sont un exemple. Puisque notre dernier spectacle était construit sur la figure de Télémaque, fils d’Ulysse et Pénélope, le spectacle de cette année semble se référer au spectacle de l’an dernier.  Celui-ci  apparaît régulièrement comme un danger dont les acteurs se méfient. La question de la référence aux anciens, aux langues antiques, et particulièrement à la langue grecque était  aussi source de beaucoup de débats et de tensions à l’époque de Rabelais. Celui-ci en joue souvent, comme dans cette généalogie de Gargantua au début du spectacle, qui semble vouloir asseoir son héros dans de nobles et lointaines origines (Atlas, Goliath, Sisyphe), tout en ne résistant pas à quelques traits d’humour (Mord-mottes, Mâchefoin, Gobe-mouche) qui nous rappellent que tout cela n’est qu’une mise en scène de l’auteur. Le véritable père de Gargantua c’est Rabelais bien sûr.
Mais la mise en abîme  peut aussi apparaître dans le rapport entre le texte et l’image, entre l’œil et l’oreille. Notre Renaissance fait surgir des bébés partout sur le plateau. L’œil peut soudain redonner un sens à ce que l’on entend, en le répétant à sa façon. Il remet en scène - remet en jeu, réfléchit - ce que le mot a dit. Renait alors le sens, du mot ou de l’œil ? Est-il question de la Renaissance de Rabelais, des acteurs ou des spectateurs ?
« C’est clair », disent les acteurs à la régie, qui « éclaire » alors le plateau et lance le spectacle … Qui donne naissance à qui ?  Qui de l’œuf ou de la poule ? Qui de la boite ou de la vache qui rit ?

4.    Pour toi, comment est-elle mise en valeur par les comédiens ?
Pour commencer, une bonne partie des acteurs de cette année jouait Télémaque. Ils portent donc à la fois l’histoire de l’année dernière et celle de cette année.
Ils réagissent aussi en tant qu’élèves (« Qui engendra Hacquelebac » …« ah non, pas le bac ! ») auxquels on a proposé un nouveau projet (« C’est naze », Nazedecabre est un personnage de Rabelais), ne veulent pas retomber dans celui de l’année dernière (« Pas Homère ! »), et se plaignent de la régie («  On ne peut pas mettre une autre musique ? »). L’histoire de l'option théâtre, mais aussi la technique du spectacle, et le rapport entre les différents participants sont mis en jeu. Par exemple cette année la régie agit véritablement en acteur, jusqu’à porter parfois le texte lui même.
Les acteurs du spectacle doivent se saisir de leur propre histoire, et la mettre en jeu.

5.    En tant que comédien ou metteur en scène, en quoi c’est une difficulté à mettre en place ?
Théâtre ou pas théâtre ? Tout le début du spectacle joue sur cette ambiguïté : Quand le public entre dans la salle, il entend déjà le texte de Rabelais en vieux français. C’est commencé ou pas ? On remballe Télémaque, on le continue, on passe à autre chose ? On y est ou pas ? On en est où ? On est où ? Ou ?
Mais théâtre ou pas théâtre, c’est aussi le travail de chaque jour des apprentis acteurs de l'option théâtre ! Ariane Mnouchkine quand elle parle des débuts du théâtre du soleil, raconte comment au cours des répétitions, tout à coup « il y avait du théâtre ». Ils ne savaient pas pourquoi ni comment. Il n’y avait rien avant, plus rien après, mais pour tout le monde à un moment précis, il y avait eu un peu de théâtre. Comme un oiseau qui se pose sur l’épaule, impossible à attraper, à emprisonner : Il fallait au mieux apprendre à apprivoiser ce moment là, le repérer et le faire durer, en jouer.
Il est donc déjà très difficile d’être dans le théâtre, seulement dans le théâtre, il est encore plus difficile d’y être totalement, tout en interrogeant le théâtre et les spectateurs. C’est très « border line ». Si on force un peu le trait, il n’y a plus rien du tout !

6.    Quelle est pour toi la signification de la mise en abîme ?
C’est en quelque sorte le grain de sable. Je lisais dernièrement un article qui disait que l’homme a un grand désir d’illusion. Je ne pense pas que ce soit tout à fait vrai.  L’illusion parfaite n’a pas d’intérêt, elle ne nous apprend rien puisqu’on ne la détecte pas. Elle peut même être terriblement contreproductive, nous faire perdre notre temps.
Au contraire, je pense que ce qui nous intéresse c’est justement d’être capable de la détecter, et de jouir de ce pouvoir de rester à la limite. D’osciller autour de la position d’où l’on pourrait se faire avoir, comme dans les trompe-l’œil de cette Renaissance qui met au point les règles de la perspective. L’essentiel apparaît au moment où l’on se « ressaisit », pour ne pas se faire « ravir », et décider soi-même de l’apparition ou de la disparition de l’illusion. A ce point précis nous sommes maîtres de nous-mêmes, l’homme dialogue avec son corps, ses outils de perception et d’interprétation, avec l’auteur... C’est pour moi un  événement fondateur. L’homme est un animal qui se plait à imaginer des illusions et des systèmes parfaits, mais qui surtout apprend du grain de sable qui dérègle ses machines.

Merci à Éric d'avoir accepté  la publication de ce texte sur notre blog...

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