[105] Sorti plus tard, Pyrame voit sur la poussière les traces de la bête cruelle, et son front se couvre d'une affreuse pâleur. Mais lorsqu'il a vu, lorsqu'il a reconnu le voile sanglant de Thisbé : "Une même nuit, s'écrie-t-il, va rejoindre dans la mort deux amants dont un du moins n'aurait pas dû périr. Ah ! je suis seul coupable. Thisbé ! c'est moi qui fus ton assassin ! c'est moi qui t'ai perdue ! Infortunée ! je te pressai de venir seule, pendant la nuit, dans ces lieux dangereux ! et n'aurais-je point dû y devancer tes pas ! Ô vous, hôtes sanglants de ces rochers, lions ! venez me déchirer, et punissez mon crime. Mais que dis-je ? les lâches seuls se bornent à désirer la mort".
À ces mots il prend ce tissu fatal; il le porte sous cet arbre où Thisbé dût l'attendre; il le couvre de ses baisers, il l'arrose de ses larmes; il s'écrie : "Voile baigné du sang de ma Thisbé, reçois aussi le mien". Il saisit son épée, la plonge dans son sein, et mourant la retire avec effort de sa large blessure.
[121] Il tombe; son sang s'élance avec rapidité. Telle, pressée dans un canal étroit, lorsqu'il vient à se rompre, l'onde s'échappe, s'élève, et siffle dans les airs. Le sang qui rejaillit sur les racines du mûrier rougit le fruit d'albâtre à ses branches suspendu.
Cependant Thisbé, encore tremblante, mais craignant de faire attendre son amant, revient, le cherche et des yeux et du cœur. Elle veut lui raconter les dangers qu'elle vient d'éviter. Elle reconnaît le lieu, elle reconnaît l'arbre qu'elle a déjà vu; mais la nouvelle couleur de ses fruits la rend incertaine; et tandis qu'elle hésite, elle voit un corps palpitant presser la terre ensanglantée. Elle pâlit d'épouvante et d'horreur. Elle recule et frémit comme l'onde que ride le zéphyr. Mais, ramenée vers cet objet terrible, à peine a-t-elle reconnu son malheureux amant, elle meurtrit son sein; elle remplit l'air de ses cris, arrache ses cheveux, embrasse Pyrame, pleure sur sa blessure, mêle ses larmes avec son sang, et couvrant de baisers ce front glacé : "Pyrame, s'écrie-t-elle, quel malheur nous a séparés ! cher Pyrame, réponds ! c'est ton amante, c'est Thisbé qui t'appelle ! entends sa voix, et soulève cette tête attachée à la terre !"
Commentaires